Qui était Simone Iff ?

Avec le projet urbain engagé à Maurepas, l’Histoire du quartier s’écrit à nouveau. De nouveaux bâtiments émergent, d’autres sont rénovés, de nouveaux habitants s’installent. Mais que nous racontent ces nouvelles constructions ? Le nouvel Espace Social Commun porte le nom de Simone Iff. Mais qui était-elle ? Militante féministe, cofondatrice du planning familial, elle fut de nombreux combats pour les droits des femmes dans la seconde moitié du XXe siècle. Mais pour mieux la connaître, le plus simple est de donner la parole à une personne l’ayant bien connue. C’est le cas d’Annick Meinnel, rennaise de 84 ans, que nous avons rencontrée le 8 mars 2023.

Portraits Photo de Simone Iff

Rencontre avec Annick Meinnel

Pouvez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours de militante ?

« Je suis née en 1938, je me suis mariée à 21 ans et j’étais mère de famille à 24 ans. À l’époque, dans les années 60, j’habitais rue de Fougères.

En 1966, j’avais quatre enfants et ne souhaitais pas d’un cinquième, c’était clair dans ma tête. J’ai donc cherché un moyen de contraception, tout simplement. Mon médecin dit à l’époque : « Mais madame, vous êtes faite pour avoir des enfants ». Ça m’a tellement énervée et mise en colère. J’ai alors lu un article de la MGEN (la mutuelle de l’éducation nationale) qui parlait de la contraception et de l’association « Maternité heureuse », l’ancêtre du Mouvement français pour le planning familial. J’ai commencé par adhérer, assister aux assemblées générales puis je suis devenue trésorière de l’association après quelques années. À Rennes nous étions très organisés et mobilisés. On était une bonne équipe ! On allait dans les quartiers, notamment ici à Maurepas pour rencontrer les femmes en petits groupes, directement chez elles. C’était encore assez mal vu.

On tenait également des permanences rue Thiers dans un local prêté par le syndicat Force Ouvrière. On recevait des femmes pour des demandes d’IVG avant 1975 et la loi Veil. On faisait des réunions et on regroupait des femmes pour aller en Angleterre où l’IVG était autorisée.

Beaucoup de femmes venaient de la campagne environnante, d’autres étaient étudiantes et très déterminées. Nous, on donnait des informations mais on ne pouvait pas les accompagner financièrement. Il fallait donc qu’elles soient courageuses et motivées pour trouver de l’argent, ce n’était pas évident. Parfois certaines paniquaient mais il y avait une vraie solidarité. Certaines, plus dégourdies que d’autres, chapeautaient le groupe pour partir à plusieurs. On s’occupait de prendre les rendez-vous à la clinique pour ces femmes. Elles étaient donc attendues, elles le savaient, c’était plus rassurant. »

Comment avez-vous rencontré Simone Iff ? Qui était-elle pour vous ?

Après mai 1968, au début des années 1970, j’ai souhaité suivre la formation pour devenir animatrice, pour informer les femmes sur leur corps, les moyens de contraception. Il fallait aller à l’université. Je ne pouvais étudier que le soir pendant que les enfants dormaient, c’était le seul moment que j’avais. J’allais donc à Paris pendant des weekends. C’est là où se déroulaient aussi les assemblées générales, les congrès. Quand je montais à Paris pour me former, il y avait beaucoup de solidarité, de convivialité.

Je n’étais pas payée, c’était cher pour se loger. C’est comme ça que j’ai rencontré Simone Iff, en 1972. J’ai été accueillie par le couple. Ils avaient cinq enfants. Ils étaient formidables, de vrais bienveillants, des gens intelligents. Le soir, après la formation, on dînait, on se racontait nos vies. On avait 14 ans de différence mais on était très proches. Simone Iff était très engagée, elle faisait partie des mouvements protestants des jeunes femmes et a contribué au manifeste des 343 salopes.

On se retrouvait également aux manifestations, parfois face à l’extrême droite qui nous attendait avec des bâtons. Nous, on chantait. J’ai aussi fait des collages en faveur de la contraception. La seule méthode c’était le diaphragme, il n’y avait pas de pilule ou de stérilet. Des médecins militants nous aidaient.

Nos revendications étaient : contraception, IVG et sexualité épanouie. Connaître son corps, recherche du plaisir. Dans la formation on abordait ces sujets. Savoir qu’on a un clitoris pour les femmes, c’était quelque chose de ouf !

Simone Iff était drôle et, en même temps, assez piquante. Dans son couple, c’est souvent lui qui vaquait et elle, elle discourait. Elle aimait prendre la parole. Elle était très amoureuse de son mari et entendait pouvoir continuer à faire l’amour sans procréer, c’était très important pour elle. Elle le revendiquait. Elle osait dire qu’elle voulait encore avoir du plaisir avec son mari sans l’angoisse de la grossesse.

Et après cela, vous avez suivi son parcours ?

Elle est devenue présidente du planning familial en 1974 qui avait pour slogan le célèbre « Un enfant, si je veux, quand je veux ». Elle prônait une sexualité épanouie en plus des sujets autour de la maternité. C’étaient des sujets encore tabous à l’époque. Avec Marie-France Casalis et d’autres jeunes femmes, elles étaient à la pointe.

Plus tard, elle a travaillé au ministère des Droits de la femme avec Yvette Roudy notamment. J’étais trésorière adjointe au national pour ma part. Elle savait monter des dossiers et les argumenter. On a obtenu des subventions car après la lutte pour la contraception, est venue celle pour l’IVG.

Après quelques années, nous avons pu acheter un local place de Bretagne et créer un centre de planification. On s’est bagarré pour l’avoir parce que les résidents de l’immeuble n’étaient pas du tout d’accord pour qu’on s’installe mais on avait le soutien de la Mairie de Rennes.

L’accueil des femmes s’est peu à peu professionnalisé. Avec un diplôme d’État, je suis devenue salariée du planning. En adhérant et en militant bénévolement, je ne pensais pas devenir professionnelle. On a évolué avec le temps, grâce à notre motivation ! Nous étions persuadées de notre juste droit. Ça nous a mené à faire des choses que je savais parfois dangereuses. On aurait pu être emprisonnées. Si quelqu’un nous dénonçait, on était hors la loi. Pendant les collages et autres actions, on a parfois eu la trouille, mais ça fait partie de l’époque.

Que pensez-vous du fait de nommer un équipement “Simone Iff” ?

Nommer l’Espace social commun du nom de Simone Iff, c’est une super idée ! Très souvent, quand on voit le nom des rues, on se dit « qui sont ces gens-là ? » Là, ce sera l’occasion de la faire mieux connaître. Son action a été fondatrice de plusieurs droits nouveaux. C’est grâce à des gens comme Simone Iff que ça a été possible, ça a du sens pour moi.

 

Propos recueillis par Stefan Le Brenn le 8 mars 2023